Un traitement vaut-il mieux que la nature et le temps?
Les patients et les professionnels de la santé espèrent que les traitements seront utiles. Ces attentes optimistes peuvent avoir un effet très positif sur la satisfaction de chacun envers les soins de santé, comme le docteur britannique, Richard Asher, l’a noté dans l’un de ses essais destinés aux médecins:
“Si vous pouvez croire avec ferveur à votre traitement, même si des études contrôlées ont démontré qu’il est pratiquement sans effet, alors vous obtiendrez de bien meilleurs résultats, vos malades iront beaucoup mieux, et vos revenus aussi. Cela explique le succès remarquable de certains de nos confrères les moins doués mais les plus crédules, ainsi que le rejet violent des statistiques et des études contrôlées par les médecins à la mode et qui réussissent.” (Asher 1972)
Les gens se remettent souvent d’une maladie sans traitement spécifique: la nature et le temps sont de grands guérisseurs. Comme le suggérait Oliver Wendell Holmes au 19e siècle, époque à laquelle il existait très peu de traitements efficaces (Holmes 1861), “Je suis fermement convaincu que si nous envoyions au fond de la mer toute la médecine que nous utilisons, ce serait tant mieux pour nous et tant pis pour les poissons.”
Les avancées et les résultats de la maladie, si elle n’est pas traitée, doivent bien entendu être pris en compte lorsque l’on teste les traitements: le traitement peut améliorer ou aggraver les résultats. Au fil des siècles, les écrivains ont attiré l’attention sur la nécessité de se montrer sceptique quant aux allégations sur les améliorations que peuvent apporter les effets des traitements par rapport aux effets de la nature. En d’autres termes, “si vous vous en remettez à la nature pour soigner votre grippe, il vous faudra probablement une semaine pour être sur pied; mais si vous allez consulter un docteur, vous serez d’aplomb en 7 jours seulement.”
L’effet placebo
Conscients que, pour une bonne part, la maladie a un effet d’auto-limitation, les docteurs prescrivent parfois des traitements inertes dans l’espoir que leurs patients en tireront un bénéfice psychologique – ce qu’il est convenu d’appeler l’effet placebo. Les patients qui croient qu’un traitement aidera à soulager leurs symptômes – même si le traitement, en fait, n’a pas d’effets physiques – peuvent tout à fait se sentir mieux.
Les docteurs reconnaissent l’importance de l’utilisation des placebos depuis des siècles (liste des références pertinentes). Par exemple, William Cullen mentionnait son utilisation de placebos dès 1772 (Cullen 1772), et les références aux placebos ont augmenté au cours du 19e siècle (Cummings 1805; Ministre des Affaires intérieures 1832 ; Forbes 1846). Étant donné qu’Austin Flint croyait que le traitement médicamenteux orthodoxe usurpait le crédit dû à la ‘nature’, il a administré à treize patients souffrant de rhumatismes un ‘remède placebo’ composé d’un extrait fortement dilué de l’écorce de quassier. Le résultat étant le suivant: “les progrès positifs des cas ont été tels que le remède en général a suscité la confiance totale des patients” (Flint 1863). À l’hôpital Guy de Londres, William Withey Gull a abouti à des conclusions similaires après avoir traité 21 patients souffrant de rhumatisme articulaire aigu “essentiellement avec de l’eau mentholée” (Sutton 1865). Au début du 20e siècle, William Rivers analysait en détail les effets d’origine psychologique des traitements (Rivers 1908).
La nécessité de procéder à des comparaisons
Si le pouvoir de guérison de la nature et l’effet placebo sont reconnus depuis des siècles, il en va de même pour la nécessité de procéder à des comparaisons en vue d’évaluer les effets des traitements en sus des effets d’origine naturelle et psychologique. Parfois, des comparaisons entre les traitements se font jour dans l’esprit des gens: ils ont l’impression qu’eux-mêmes ou d’autres répondent différemment à un nouveau traitement par rapport à des réponses préalables aux traitements. Par exemple, Ambroise Paré, un chirurgien militaire français, a conclu que le traitement des blessures de guerre avec de l’huile bouillante (ce qui était pratique courante) était probablement nocif. Il avait abouti à cette conclusion alors que, les stocks d’huile étant épuisés, ses patients récupéraient plus vite qu’à l’accoutumée (Paré 1575).
La plupart du temps, des impressions de ce type doivent être suivies d’études formelles, peut-être dans un premier temps en analysant les dossiers médicaux. Ces impressions peuvent déboucher sur des comparaisons réalisées avec soin. Il y a danger lorsque seules ces impressions sont utilisées pour guider les recommandations et les décisions de traitement.
Effets spectaculaires et effets modérés des traitements
Les comparaisons entre les traitements qui reposent sur des impressions, ou des analyses relativement restreintes, ne fournissent des informations fiables que dans les cas rares où les effets du traitement sont spectaculaires (https://www.jameslindlibrary.org/additional-methods/comparison/dramatic-effects/). Au nombre des exemples, on peut citer l’opium pour soulager la douleur (Tibi 2005), l’hygiène pour la prévention du tétanos (trismus) chez les nouveaux-nés (Schleisner 1849), le chloroforme pour l’anesthésie, l’insuline pour le diabète (Banting et al. 1922), un régime à base de foie pour l’anémie pernicieuse (Minot et Murphy 1926), les sulfamides pour les infections après l’accouchement (Colebrook et Purdie 1937), la streptomycine pour la méningite tuberculeuse (MRC 1948), l’adrénaline pour les réactions allergiques mettant en jeu le pronostic vital (McLean-Tooke et al. 2003), et les médicaments issus de la technologie transgénique pour des formes rares de leucémie (Druker et al. 2001). La plupart des traitements médicaux n’ont toutefois pas d’effets aussi spectaculaires que ceux-ci, et à moins que l’on prenne garde d’éviter des comparaisons biaisées, on peut aboutir à des conclusions dangereusement erronées sur les effets du traitement.
Comparaison des traitements administrés aujourd’hui avec les traitements du passé
C’était en partie du fait qu’ils se basaient sur des comparaisons biaisées avec des expériences passées que les médecins et les femmes croyaient que le diéthylstilbestrol (DES) réduirait le risque de fausses couches et d’accouchements de mort-nés. Aucun élément de preuve tiré d’essais contrôlés (non biaisés) n’a jamais montré que le DES pourrait avoir cet effet, et il a par la suite été démontré qu’il était à l’origine de cancers chez les filles des femmes enceintes à qui il avait été prescrit. Un traitement dont il n’a pas été démontré de façon fiable qu’il était efficace ne devrait pas être encouragé.
Une comparaison des traitements d’aujourd’hui avec ceux qui étaient administrés par le passé ne constitue que rarement une base fiable pour un essai contrôlé (Behring et al. 1893 ; Roux et al. 1894), car des facteurs pertinents autres que les traitements eux-mêmes évoluent au fil du temps. Par exemple, les fausses couches et les bébés mort-nés sont plus courants lors des premières grossesses que des grossesses ultérieures. Ainsi, il est fort probable qu’une comparaison de la fréquence des fausses couches et des bébés mort-nés au cours des grossesses ultérieures pendant lesquelles du DES était prescrit avec le résultat de la première grossesse au cours de laquelle ce médicament n’était pas utilisé constitue un fondement très erroné pour en évaluer les effets. Dans la mesure du possible, les comparaisons devraient porter sur l’administration de traitements différents plus ou moins au même moment.
Comparaison des traitements dans le cadre d’essais croisés chez le même patient
Parfois, l’administration de traitements différents plus ou moins au même moment peut supposer l’administration à un patient de différents traitements successivement – ce qu’il est convenu d’appeler un essai croisé (Martini 1932 ; cliquez ici pour consulter la liste des fichiers pertinents). Un premier exemple d’essai croisé était mentionné en 1786 par le Dr Caleb Parry à Bath (Angleterre). Il voulait déterminer s’il était justifié de payer un prix élevé pour la rhubarbe importée de Turquie comme purgatif pour le traitement de ses patients au lieu d’utiliser la rhubarbe cultivée localement en Angleterre. Il a donc ‘croisé’ le type de rhubarbe administrée à chaque patient à différents moments et a comparé les symptômes chez chaque patient alors qu’il ingurgitait chaque type de rhubarbe (Parry 1786). (Il n’a constaté aucun avantage lorsque la rhubarbe plus chère était consommée !)
Les comparaisons de traitement pour un même patient se justifient lorsque leur condition réapparaît une fois le traitement interrompu. Il existe un nombre important de cas pour lesquels cela ne s’applique pas. Par exemple, il est habituellement impossible de comparer différentes opérations chirurgicales ainsi, ou des traitements administrés pour des maladies progressives.
Comparaison entre des groupes de patients auxquels différents traitements sont administrés en même temps
Les traitements sont habituellement testés en comparant des groupes de personnes qui reçoivent des traitements différents. Une comparaison de deux traitements ne sera pas fiable si des personnes qui sont relativement en bonne santé ont reçu un traitement tandis que des personnes relativement malades ont reçu l’autre, c’est pourquoi les expériences de groupes similaires de personnes qui reçoivent des traitements différents au cours de la même période doivent être comparées. Al-Razi l’a reconnu il y a plus de 1000 ans puisque, pour pouvoir tirer des conclusions sur la façon de traiter les patients présentant des signes précoces de méningite, il a traité un groupe de patients et s’est intentionnellement abstenu de traiter un groupe de comparaison (al-Razi IXe siècle).
Il est nécessaire de procéder à des comparaisons avec la nature et avec d’autres traitements pour réaliser des essais contrôlés des traitements. Pour que ces comparaisons soient fiables, elles doivent tenir compte des incertitudes véritables, éviter les biais et l’effet du hasard, et être interprétées avec prudence .