L’un des pionniers du 20e siècle des essais contrôlés des traitements, Austin Bradford Hill , a noté que les lecteurs de rapports de recherche veulent connaître les réponses à quatre questions: ‘pourquoi avez-vous commencé?’, ‘qu’avez-vous fait?’, ‘qu’avez-vous trouvé?’, et ‘qu’est-ce que ça veut dire au fond?’ (Hill 1965). La qualité de la réponse à la dernière question de Hill est particulièrement importante car c’est l’élément d’un rapport de recherche qui aura probablement le plus d’incidence sur les choix et décisions effectifs sur les traitements.
Il est très rare qu’un essai contrôlé unique apporte des éléments de preuve suffisamment solides pour fournir une réponse assurée à la question ‘qu’est-ce que ça veut dire?’. Un essai contrôlé d’un traitement est habituellement un essai parmi plusieurs autres portant sur la même question. Pour avoir une réponse fiable à la question ‘qu’est-ce que ça veut dire?’, il est donc important d’interpréter les éléments de preuve d’un essai contrôlé donné dans le contexte d’une évaluation rigoureuse de l’ensemble des preuves tirées des essais contrôlés portant sur cette question.
Le président de la British Association for the Advancement of Science a souligné qu’il était nécessaire d’appliquer ce principe il y a plus d’un siècle:
“Si, comme on le soupçonne parfois, la science n’était rien d’autre que l’accumulation laborieuse de faits, elle s’immobiliserait bientôt, écrasée sous son propre poids…. Deux processus sont donc à l’oeuvre, côte à côte, la réception de nouvelles données et la digestion et l’assimilation des anciennes… Les travaux qui méritent le plus d’être salués, mais j’ai bien peur que ce ne soit pas toujours le cas, sont ceux où la découverte et l’explication vont de pair, où non seulement les nouveaux faits sont présentés mais où leurs rapports avec les données préalables sont mis en exergue.” (Rayleigh 1885)
C’est peut-être du fait que l’application de ce principe dans la pratique n’est pas véritablement reconnue dans les cercles universitaires que très peu de rapports sur des essais contrôlés de traitements analysent leurs résultats dans le cadre d’une évaluation systématique de toutes les autres preuves pertinentes (Clarke et al. 2002). De ce fait, il est généralement difficile pour les lecteurs d’obtenir une réponse fiable à la question ‘qu’est-ce que ça veut dire?’ dans les rapports issus de nouvelles recherches.
Comme indiqué dans un essai explicatif préalable, le fait d’entreprendre de nouveaux essais de traitements médicaux sans examiner d’abord systématiquement ce qu’il est possible d’apprendre dans le cadre des recherches existantes est dangereux et non éthique, et constitue un gaspillage de ressources (se reporter à l’essai Pourquoi les comparaisons doivent-elles porter sur les incertitudes véritables). Communiquer les résultats des nouveaux essais sans interpréter les nouvelles preuves à la lumière des évaluations systématiques des autres éléments de preuve pertinents est également dangereux car cela peut retarder l’identification à la fois de traitements utiles et nocifs (Antman et al. 1992). Par exemple, entre les années 60 et le début des années 90, plus de 50 essais contrôlés de médicaments destinés à réduire les anormalités du rythme cardiaque ont été réalisés chez des personnes faisant des crises cardiaques avant que l’on se rende compte que ces médicaments tuaient les patients. Si chaque rapport avait évalué les résultats des nouveaux essais dans le contexte de toutes les preuves pertinentes, les effets mortels des médicaments auraient pu être identifiés une décennie plus tôt, et bon nombre de décès prématurés inutiles auraient pu être évités.
À l’ère de la publication électronique, il devrait être possible de remédier aux lacunes que l’on retrouve dans la plupart des rapports sur de nouvelles recherches (Chalmers et Altman 1999 ; Smith et Chalmers 2001). Toutefois, plutôt que de ne fonder les conclusions sur les traitements que sur une ou quelques études individuelles, les utilisateurs des éléments de preuve issus de la recherche se tournent de plus en plus, pour obtenir des informations fiables, vers des examens actualisés systématiques de tous les éléments de preuve fiables pertinents , car il est de plus en plus reconnu qu’ils constituent le meilleur fondement pour tirer des conclusions sur les effets des traitements médicaux.
De même qu’il est important de prendre des mesures pour éviter d’être induit en erreur par des biais et l’effet du hasard lors de la planification, de la réalisation, de l’analyse et de l’interprétation des différents essais contrôlés de traitements, des mesures semblables doivent être adoptées lors de la planification, de la réalisation, de l’analyse et de l’interprétation des revues systématiques. Il faut pour cela:
- spécifier la question qui doit être traitée dans le cadre de la revue systématique
- définir les critères applicables à l’inclusion des études dans la revue
- identifier (toutes) les études remplissant potentiellement ces critères
- appliquer les critères de façon à réduire les biais
- assembler une proportion aussi importante que possible des informations pertinentes tirées des études
- analyser ces informations, lorsque cela est approprié et possible, au moyen de méta-analyses et de toute une série d’analyses
- préparer un rapport structuré
Une manifestation du fait que l’importance cruciale des revues systématiques pour l’évaluation des effets des traitements est de plus en plus reconnue tient à l’évolution rapide des méthodes destinées à améliorer la fiabilité des revues elles-mêmes. La première édition d’un livre intituléSystematic Reviewsfaisait moins de 100 pages (Chalmers and Altman 1995): six ans plus tard, la deuxième édition faisait près de 500 pages et comprenait des stratégies très évolutives pour accroître les informations obtenues par l’entremise de la recherche (Egger et al. 2001).
Actuellement, les méthodes utilisées pour préparer les revues systématiques évoluent considérablement, notamment celles qui sont nécessaires pour identifier les effets non prévus des traitements (Glasziou et al. 2004) et pour inclure les résultats de la recherche qui décrivent et analysent les expériences des personnes qui administrent et reçoivent les traitements (Thomas 2004). Les données pertinentes seront ajoutées àla James Lind Libraryà mesure qu’elles seront publiées.