Comment faire face à la communication biaisée des éléments de preuve disponibles

Pour éviter des comparaisons biaisées , il faut identifier tous les éléments de preuve fiables pertinents dans les revues systématiques et en tenir compte. Cela présente de nombreuses difficultés, en particulier du fait que certains éléments de preuve pertinents ne sont pas publiés car des décisions faussées sont prises au moment de déterminer quels résultats de recherches sont soumis et acceptés pour publication. Les études qui ont donné des résultats ‘décevants’ ou ‘négatifs’ ont moins de probabilités d’être communiquées que les autres. C’est ce que l’on appelle souvent le ‘biais à la publication’ ou le ‘biais à la communication des données’.

L’existence de ces biais à la communication des données est reconnue depuis des siècles (Dickersin 2004a). En 1792, par exemple, James Ferriar a souligné qu’il était important de répertorier les échecs de traitement tout autant que les succès (Ferriar 1792). Ce principe a été réaffirmé dans un éditorial publié dans le Boston Medical and Surgical Journal un peu plus d’un siècle plus tard (Editorial 1909).

Il existe aujourd’hui un volume considérable d’éléments qui confirment que le biais à la communication des données constitue un problème important. Il existe aussi des éléments qui prouvent que le biais à la communication des données provient principalement du fait que les chercheurs n’écrivent pas ou ne soumettent pas de rapports de recherche pour publication, et non du rejet biaisé des rapports soumis par les éditeurs des journaux (Dickersin 2004b). Des études récentes ont aussi mis en exergue un autre problème : si les estimations des effets des traitements sur certains des résultats étudiés ne viennent pas étayer les conclusions des chercheurs, ces données ne sont parfois pas communiquées non plus (Chan et al. 2004).

Deadly MedicinePar exemple, si toutes les études sur les effets de l’administration de médicaments pour réduire les anormalités du rythme cardiaque chez les patients ayant une crise cardiaque avaient été communiquées, des dizaines de milliers de décès dus à ces médicaments auraient pu être évités. En 1993, le Dr Cowley et ses collègues ont souligné comment une étude non publiée, réalisée 13 ans auparavant, aurait pu “laisser présager les problèmes futurs”. Neuf patients étaient morts sur les 49 auxquels le médicament contre les arythmies (lorcainide) avait été administré contre un seul patient parmi un nombre semblable de personnes ayant reçu des placebos. “Quand nous avons effectué notre étude en 1980”, ont-ils indiqué, “nous pensions que l’augmentation du taux de décès était un effet du hasard… Le développement de la lorcainide a été abandonné pour des raisons commerciales, et cette étude n’a donc jamais été publiée ; cela constitue désormais un bon exemple de ‘biais à la publication'” (Cowley et al. 1993).

Les biais au niveau de la communication des données débouchent généralement sur la conclusion que les traitements médicaux sont plus efficaces qu’ils ne le sont en réalité. Ils peuvent donc entraîner des décès ou des souffrances inutiles, ainsi qu’un gaspillage de ressources consacrées à des traitements inefficaces ou dangereux (Chalmers 2004). Les personnes qui acceptent de participer à des essais sur les traitements à la demande des chercheurs supposent que leur participation permettra d’accroître la somme des connaissances. Il en découle que les modalités du contrat entre les chercheurs et les participants ne sont pas respectées par les chercheurs qui ne rendent pas publics les résultats de leurs recherches.

Une sous-communication biaisée de la recherche constitue une faute scientifique et un acte non éthique (Chalmers 1990). La communication sélective des études parrainées par l’industrie pharmaceutique constitue un problème particulier (Melander et al. 2003), bien que le problème ne se limite pas à ceux qui ont des intérêts commerciaux en jeu. Les comités d’éthique de la recherche, les éthiciens médicaux et ceux qui financent la recherche n’ont pas fait suffisamment à ce jour pour protéger les patients et le public des effets négatifs des biais à la communication (Savulescu et al. 1996). Les essais contrôlés des traitements – en particulier des traitements avec des enjeux commerciaux – demeureront compromis tant que cette forme de manquement au devoir de recherche sera tolérée par les autorités publiques et tous ceux qui sont censés protéger les intérêts du public.

L’Organisation mondiale de la santé a proposé des solutions pour remédier au problème du biais de la recherche et de la publication (ou diffusion) non identifiable : premièrement, elle définit des normes pour l’enregistrement et l’échange de données pour l’enregistrement des essais. Deuxièmement, elle propose que les protocoles de recherche soient répertoriés dans des bases de données qui répondent aux normes susmentionnées, avant que le recrutement des patients ne commence. Enfin, elle propose la mise en place d’un portail d’accès ouvert (www.who.int/ictrp), qui compilerait les données de tous les registres, ce qui permettrait d’avoir des informations sur les protocoles de recherche à venir, en cours ou terminés.

Nous devons tous appuyer l’Organisation mondiale de la santé dans cette initiative en vue de réduire les biais à la communication des données en exigeant que tous les essais contrôlés des traitements soient enregistrés dès leur démarrage, et en insistant pour que leurs résultats soient publiés.